Visite inconsciente (PV: Boisnoir)

Il faisait nuit noire, la lune ne semblait pas décidé à faire profiter aux hommes de sa clartée, seuls les pas de Lata sur la pavé du port résonnaient. Bien que fatiguée, elle ne parvenait pas à trouver le sommeil sur le sol froid des rues, n'ayant pas encore d'habitation fixe. L'endroit était déserté de tout êtres, pas même un chat ne venait s'aventurer près des navires endormis. Elle perdit son regard dans l'étendue infini de l'océan, du moins, ce qu'elle pouvait en voir avec cette obscurité. Le clapotis des vagues la laissa en émoi, resongeant à son père, cet amoureux de l'océan, qui lui avait tant vanté la mer qu'il parcourait avec avidité. Avant que cette mer ne l'avale.
Une lumière la réveilla de ses songes, un petit rayon lumineux provenant du navire français, un peu plus loin. Ne sachant pourquoi, elle se sentit attirée par cette lumière et avança. Le bâtiment était imposant, énorme, fier, mais elle ne parvenait pas à discerner le nom qui était inscrit sur la plaque, dans le noir.
Elle longea la coque et aperçut un pont qui menait dans l'intérieur même du bateau majestueux.
Curieusement, à cet instant, la lumière s'éteint.
Elle eu le sentiment que le lieu était aussi désert que le port, et, sans reflechir plus, poussé par la curiosité, elle posa le pied sur la parcelle.
Lorsqu'elle arriva sur le pont, elle leva les yeux vers le grand mat, puis posa les main sur le bastingage. Comme elle aurait aimé suivre les trace de son paternel et vivre elle aussi sur l'océan, comme elle aurait aimé voir son destin se plier aux caprices des vagues et du vent, porter le tricorne du pirate, attaquer la marine, aborder, hurler sa rage...
Mais elle était une femme, et, disait-on, une femme peut contenir sa rage toute sa vie.
Ses sens se mirent soudainement en alerte, la lumière venait de se rallumer. Paralysée par la peur, elle ne se retourna pas tout de suite.
Quel était ce navire ?
Et si c'était un bâtiment de la flotte royal ? Son inconscience de jeune femme, où l'avait-elle mené ? Quelle idiote faisait-elle !

Sa frayeur s'accentua lorsqu'elle entendit un pas, derrière elle.
-Mon dieu..., murmura-t-elle en fermant les yeux.

Marc de Boisnoir craqua une alumette, la flamme éclaira son visage encore raffiné malgré des années de guerre. Il alluma son cigarillo et le fuma longuement. Chose rare, il observait les étoiles assis sur son somptueux fauteil style Louis XV les pieds négligemment posé sur la banquette de poupe. Le cuir douillet et lisse absordait les mouvements de ses pieds qui remuaient sans cesse. La brise était bien établie, demain à l'aude, le Royal Louis et le corps de bataille léverait l'ancre pour exécuter des manoeuvres. Mais quand même quelle nuit magnifique. La fraîcheur du soir lui parvint, à la faible lueur de la lune, il chercha à tâtons sa tasse de café encore chaud et la porta à ses lèvres.

Mais il s'arrêta dans son geste, un craquement venait de retentir prés de là, sur la galerie arrière? Non. Plutôt à l'intèrieur du navire derrière lui, sa cabine ou la timonerie. Mieux. Boisnoir connaissait ce navire comme sa poche. Il en connaissait chaque coin et recoin, chaque cordage, chaque espar, chaque canon. Il prit une nouvelle bouffée et se leva presque à contrecoeur, savourant les dernières secondes de ce doux moment de délice. Il se dit que les craquements venaient du corridor, celui qui menait à la Chambre de Conseil, pièce où il se trouvait. Non il n'avait pas de raison de s'inquiéter. Alors qu'il était à l'ancre, le Royal Louis n'avait que trés peu d'hommes à bord, la plupart étaient à terre. Les sentinelles étaient rares et la timonerie vide. Le chemin jusqu'au Royal Louis avait du être assez difficile mais avec de la chance un voleur avait pu se frayer un chemin. Un voleur qui voudrait s'en prendre à l'argenterie de l'amiral, à sa bourse ou saisir une bouteille de vin fraîchissant sur la gallerie. Boisnoir ouvrit lentement le tiroir de son bureau et se saisit de la paire de pistolets qui s'y trouvait. D'un geste il s'assura de la présence de son épée à son côté. Il n'y aurait peut être pas besoin de se battre, un coup de feu suffirait à alerter les cents hommes de quart et à réveiller les trois cent cinquante autres qui dormaient en bas, sans compter ceux qui se trouvaient à terre.

Même dans le noir, ses yeux, accoutumés à l'obscurité retrouvèrent leurs repères. Il se saisit d'une lanterne sourde sans la démasquer, il ne le ferait qu'au dernier moment éblouissant ainsi l'intrus. Il se déplaçait astucieusement, chaque pas correspondant à un des craquements de la coque et du gréément de son vaisseau-amiral. Silencieux comme un chat il posa sa main sur la porte à double battant et dans l'ouvrit d'une main, puis au moment où elle claqua contre le ratelier où se trouvaient les mousquets du bord, il démasqua la lanterne et dégaina son pistolet prêt à abattre l'intrus.

La jeune femme sursauta lorsqu'une lanterne l'aveugla soudainement, elle eu un mouvement de recul avant que son regard ne remonte jusqu'au visage de l'inconnu. Il lui suffit de voir brevement l'uniforme qu'il portait pour comprendre avec effroi dans quelle misère elle se trouvait. Français la France, le Royal Louis, la fierté de la marine, en guerre contre la piraterie. Son regard brûlant lui arracha un frisson, il était trop impressionant pour être un matelot normal, ou un simple soldat. Le sir avait un faux air de Lord Cutler Beckett mais pire encore. Elle baissa les yeux en direction de l'arme qui la menaçait, un pistolet, très rare dans son pays, distributeur de mort. Cependant, sa rareté ne voulait pas dire qu'elle n'en possédait pas un...pendu à sa ceinture.

Elle mélangea la langue anglaise avec la française, la langue française avec le Hindi, ne sachant que dire, et comment, pour se défendre face à l'accusateur muet. Lata recula d'un pas, sans se retirer de la ligne de tir du pistolet, verifiant qu'elle portait toujours son sabre à la ceinture malgré son inutilité présente. Dans la nuit noire, elle ne distinguait que l'homme et sa lumière, à cinquante centimètre d'elle. Naturellement, aux côtés du sabre se trouvait également le pistolet que son père lui avait legué, il y a dix ans. Il ne détenait qu'une seule et unique balle, mais saurait faire office de menace, pour commencer.

A son tour, elle dégaina son arme à feu et la pointa sur le français.

Boisnoir écouta la jeune femme parler un langage qui lui parut des plus incompréhensibles, il saisit quelques mots d'anglais puis du français mais plus intéressant encore, ce qui le troubla, de l'hindi. Oui la jeune femme avait parlé la langue des Indes et son visage rappelait les jeunes femmes de ces contrées qu'il avait sillonné alors qu'il était commandant du navire corsaire le Serpent puis quand il avait pris du service auprés de la Companie française des Indes orientales. Le plus étrange était de croiser une de ces jeunes femmes dans les Caraïbes à des centaines de lieu de son foyer d'origine. Quel hasard, péripétie avaient pu la mener ici? Mais cela ne devait pas être la question principale. Qu'est ce qui l'avait poussé à monter à bord du Royal Louis? Rien à part sans doute de mlauvaises intentions.

Boisnoir allait lui poser la question lorsque la jeune femme sortit à son tour son arme. Perdu dans ses pensées, Boisnoir ne l'avait pas vu arriver. Il aurait pu l'abattre avant mais il perdait toute chance d'apprendre quoique ce soit sur elle et la raison de sa venue. Il comprit vite que ce n'était pas à qui tirerait le plus vite que se réglerait cette épineuse affaire.

-Vous jouez à un jeu dangereux mademoiselle... il murmurait presque. Vous devriez mieux regarder où vous allez et à qui vous vous frottez. Mais pourrais-je savoir ce qui vous a amené ici et nous place à présent tous deux dans une situation aussi... délicate?

Lata approuva d'un signe de tête mais n'abaissa pas sa garde. Elle aurait tôt fait de tirer mais elle avait suffisement d'ennuis avec les lois d'ici, et souhaitait s'en tirer sans avoir les maisn tachées de sang. Le français n'avait pas l'air aussi hostile qu'elle aurait crue, il semblait interressé, cela jouait donc en l'avantage de la jeune femme. Le murmure de l'inconnu ne lui arracha pas un frisson, hardie qu'elle était.

-Ces affaires là ne vous regardent pas, répondit-elle d'un ton qui se voulait assuré, de là où vous êtes, il y a des misères que vous ignorez...Mais il me semble à moi que la situation serait moins délicate si vous baissiez votre arme et moi de même. Et que risquez vous ? Je suppose que vous n'avez qu'un geste à faire pour qu'il en soit finit de mon existence.

Tout ça dit dans un français presque parfait.
Elle cherchait elle même au fin fond de son esprit le nom qu'elle pourrait accordé à ce visage..."Black" quelque chose lui soufflait son instinc, mais elle s'égara. Sans le quitter des yeux elle jura en Hindi, tout bas.
-Smalaika...

Les dieux se jouaient d'elle. N'importe quel navire aurait été mieux que celui-ci. Le Royal Louis était réputé pour son équipage impitoyable, sa force et...son commandant. "Black" quelque chose...

Boisnoir sourit. La jeune femme n'avait pas tort, mais il avait un avantage. Il tenait la lanterne, il éblouissait l'intrus qui pouvait le rater quoiqu'à deux pieds de distance, il y avait vraiment peu de chances qu'elle puisse le rater. Il avait un intérêt grandissant pour cette femme, en général, les femmes avec une arme l'intéressait fortement. Elles étaient cent fois moins agaçante que celle qui maniait le verbe comme un spadassin manie l'épée. Il ne baissa pas son arme pour autant.

-Permettez-moi de me dire ce qui me concerne lorsque je me trouve à bord de mon navire-amiral... Quant à la simplicité de mettre un terme à votre existence, la remarque est valable pour vous aussi. Mais...

Il recula sa lanterne juste assez pour que la jeune femme distingue son arme. Il la fit basculer et glissa le crochet dans sa ceinture.

-Si vous faites usage de votre arme tout l'équipage sera au courant et avant que vous ne puissiez recharger cinq cent hommes vous tomberont dessus. Si vous souhaitez rester vivante, vous feriez bien de répondre à ma question. Alors que faites-vous à bord de mon navire? Et surtout que fait une jeune femme comme vous dans les Caraïbes?

Sans lui laisser le temps de répondre il ajouta:

-Mais je ne me suis pas présenté. Je suis le comte Marc de Boisnoir, lieutenant-général des armées navales du roi de France.

Là dessus, Lata rangea son pistolet à sa ceinture,tandis ce qu'il se présentait. "Marc de Boisnoir", lorsque ce nom teinta à ses oreilles, elle releva brusquement le visage vers lui. Boisnoir...l'envahisseur. Voilà qui il était, voilà le nom qu'elle cherchait. Elle le détailla, grand, plutôt bel homme, mais avec ce regard trop froid qui se posait sur vous et suffisait à vous paralyser, les yeux d'un tyran.
Elle ne laissa paraître aucune marque de sa surprise, resta calme, ne tenant pas à sembler le craindre.

-Evidemment...vous devez bien les connaître les jeunes femmes comme moi...messir Boisnoir.

L'homme qui posa le pied sur la terre sacré de l'Inde.
Elle se souvint, ce jour là elle dansait en faisant la manche dans les rues, les passants les plus généreux lui lançaient des pièces, lorsqu'elle le vit pour la première fois, avec le Serpent, il n'était pas descendu du navire, bien entendu mais son visage, même de loin, l'avait marqué, et elle se souvint avoir croisé son regard un certain temps, avant de devoir prendre la fuite à cause des soldats français.

-Boisnoir...oui, c'est cela...Marc Boisnoir, l'envahisseur.

Boisnoir sourit avec un air satisfait, "l'envahisseur" ce nom lui allait plutôt bien. Quand il avait posé le pied en Inde, il n'était qu'un jeune enseigne impétueux qui ne rêvait que de gloire et de fortune. C'était il y a bientôt vingt ans. Quand il était revenu, riche, puissant avec une puissante armée et une vraie flotille. La France était alors la puissance dominante, elle s'était alliée au princes indigènes aux nababs du Mysore et aux marathes. Mais certains princes restaient farouches à l'arrivée des européens sur la terre sacrée, d'autres se rapprochaient des Anglais. Boisnoir les avaient écrasés, avec ses navires, il avait nettoyé la mer des Indes des pirates et corsaires locaux et exécuté tous ceux qui se dressait sur le chemin du royaume. Tous ces efforts avaient cependant ruiné par cette guerre qui avait anéanti la france et son empire au profit de l'Angleterre, sa vieille ennemie.

-Je préfère Boisnoir le Conquérant... Et d'ailleurs veillez à ne pas oublier la particule... c'est Marc DE Boisnoir. Vous me connaissez semble-t'il... Pourtant, puis-je savoir à qui j'ai à faire?

La haine prit la place de la peur, dans son pays, on ne disait pas "Marc de Boisnoir", on disait "ces enfoirés de francos".
Mais il ne paraissait pas avoir desir de la tuer, cela était rassurant. Elle calma donc sa colère et s'inclina en une ironique révérence.

-Lata Farley, danseuse Indienne, fille d'un pirate de la mer Caraïbiennes, qui vous eu connu un jour, lorsqu'un de vos confrères la jeta en prison pour le seul crime de ses origines et qui se souvient parfaitement vous avoir supplié de lui ouvrir la porte, à cet époque là, elle devait avoir 14 ans. Mais je suppose que vous ne vous souvenez plus...tant de gens ont dût mourir par votre faute que ma petite image doit être bien floue dans votre esprit.

Ce fut la deuxième et dernière fois qu'elle le vit jusqu'à ce jour. Mais elle ne l'avait pas oublié durant ces dix huit années qui ont suivit. Il n'était pour rien dans son emprisonnement mais le manque de pitié dont il avait fait preuve avait marqué la jeune femme.
Son rythme cardiaque ne cessait d'accelerer, mélange de colère et de peur.

Presque vingt ans après, de Boisnoir n'avait pas changé, un peu vieillit, certes, mais son regard était toujours aussi hautain et supérieur. Lui qui avait massacré ceux qu'il appellait "les païens" et ceux qui d'après lui "ne méritaient pas de vivre".
Un marionnetiste qui manipule les simples poupées que sont les sultans et les prince d'Asie. Un démon.

Boisnoir sourit d'un air méprisant... Ces païens étaient bien tous les mêmes, il pensait que les européens se souciaient de leur sort et qu'ils étaient là pour le nourir... Mais non! Ils étaient là pour être dominés, c'était ainsi que Dieu avait conçu les choses, mettant sur terre une race capable de dominer toutes les autres et une nation pour gouverner le monde, la France. Le nom de Farley ne lui était pas inconnu ceci dit, bien qu'il ne garda aucun souvenir de cette jeune femme. Beaucoup d'Indiens étaient venus frapper aux portes de Pondichéry pour sauver leur peau mais s'ils n'acceptaient pas un travail, Boisnoir les congédiait, la charité n'était pas gratuite.

-Farley le pirate de la Mer des Indes... Oui je l'ai connu en effet, je me demande s'il a eu l'honneur de périr sous mes canons. Une mort naturelle en somme pour quiconque choisit la voie de la piraterie.

Boisnoir eut un rictus moqueur et sadique. Il ne devait cependant pas titiller cette jeune femme. Il ignorait toujours la raison de sa venue.

-Vous semblez peu disposée à mon égard, aussi serais-je tenté de dire que vous souhaitiez attenter à mon existence. Pourtant la surprise que j'ai lu sur votre visage ne me semble pas attester cette version. Donc je reprends ma question, pourquoi êtes-vous là?

-Fuite, insomnie, misère, inconscience, cela vous suffira-t-il ? sut-elle mentir.Et desir de trouver de quoi survivre...

"Mr Farley"..., cela lui arracha un sourire. Elle croisa les bras et s'adossa au bastingage, désormais persuadée qu'elle allait s'en tirer. Peut-être serait-ce après un ou deux jours en prison pour atteinte à un français superieur, mais cela ne lui faisait pas peur. Vu ainsi, mr de Boisnoir n'était pas aussi dangereux que l'on puit le croire. Il était puissant et çinglé, avide, c'était tout. Et ça suffisait largement.

-Mon père n'aimait pas qu'on l'appelle "Mr Farley", il n'y a qu'en Inde qu'il portait cette appellation. Il avait une multitude de noms, mais le plus connu était "Barbossa", un fléau de la piraterie, sans doute en avez vous entendu parler par vos camarades du pays...je pense a vos amis les anglais...Beckett par exemple ?

Les pirates d'aujourd'hui n'impressionaient plus les envahisseurs, ce n'était qu'un détail dans la conquête, rien d'assez puissant pour leur permettre de conquerir. Les anciens forbans avait plus de panache. Mais ils étaitent tous morts ou disparus.

-Mais cela ne sont pas ce qui nous interresse. Que comptez vous faire à présent ? Me tuer? M'emprisonner ? Me laisser partir ?

Boisnoir laissa un sourire complaisant se dessiner sur son visage tanné et bronzé par le soleil des Tropiques. Aprés tout, il n'avait pas grand chose à reprocher à cette femme, elle n'avait pas l'air si dangereuse que ça, du moins ne s'était-elle pas présentée avec des intentions belliqueuses. Il réfléchit un instant, la fille de Barbossa, un homme tel que le singulier pirate et rival de Sparrow ne devat pas être trés attaché à sa progéniture quoiqu'on ne savait jamais. Il réfléchit un instant. Il pouvait tenter le coup, la prendre en otage pour servir d'appât, aprés avoir tué Barbossa, sa gloire serait assuré et les nations d'Europe ne cesseraient de lui témoigner de leur grattitude. Aussi cruelle et perfide que fut cette solution, elle ne lui plaisat guère et il pensait qu'elle ne porterait pas ses fruits et n'aurait pour unique conséquence que de renforcer l'animosité des pirates à son égard. S'il agissait ainsi, il se mettrait à dos tous les pirates et devrait rester en escadre, il ne pouvait se permettre de détacher les navires de son corps de bataille alors qu'avec la prise du Triton par Aloha Inhoe il devait faire escorter ses convois par des vaisseaux de ligne, les seuls capable de dissuader le navire pirate d'attaquer.

-Vous tuer? Vous emprisonner? Ce sont deux tentations. Mais je ne saurais me priver d'une aussi bonne compagnie. Je ne pense cependant pas que vous me disiez la vérité. Dites-moi "ma belle", qu'est qui me dit que vous n'êtes pas une espionne pirate tout simplement?

Il sourit de nouveau. Le sort des espions était simple et radical, la pendaison pour les civils et les marins, l'exécution pour les soldats. Même si elle n'était qu'une simple danseuse, elle ne pouvait pas ignorer cet état de chose. Si elle ne désirait pas finir ainsi, Boisnoir pourrait lui faire faire ce qu'il voulait, y compris révéler des renseignements... Autrement... Autrement, il lui trouverait bien une utilité.

Intérieurement, Lata se décomposa, son sourire déjà crispé s'évanouit et, bien qu'elle tâcha de faire bonne figure, sa surprise pouvait se lire dans ses yeux.
Danseuse, il est vrai, cela n'était qu un prétexte pour cacher des arrières forgés de piraterie, inspirée par un père presque inconnu d'elle, mais au nom si célèbre qu'elle pouvait en être fière. Que la piraterie Indienne s'invite au Caraïbes pour une simple élection, que la jeune femme se lie d'une fragile amitié avec Aloha Ihnoe durant le court instant où elle la vit, une relation entre la compassion et l'admiration, rencontre des pirates où elle n'était, ni plus ni moins, le porte parole de toute la piraterie Indienne.
Mais cela, elle ne saurait le dire.
Après tout, pourquoi mentir, lorsqu'il suffit de voiler une partie de la vérité ? Si elle continuait de s'obstiner sur la visite d'inconscience à bord du "Royal Louis", il finirait très bien par réaliser qu'elle mentait et mettait donc sa vie en péril.
Hors, sa malice et sa lâchetée naturelle l'aideraient à trouver les bons mots pour, sans rien risquer, satisfaire le français.
Puisque désormais, il allait savoir qui elle était, à quelques détails près, elle pouvait se permettre de lui parler comme il lui plairait, puisque c'est elle qui détenait les renseignements...utiles, pour la marine royale.

-Et si cela s'avèrait vrai...que me feriez vous...messir ? Pardonnez ma curiosité, mais je tiens encore trop à ma petite vie de bonne femme pour la risquer sans reflechir.

Voilà, rien qu'a ces mots, l'aveux était fait. Mais finement, par provocation, elle saurait le manipuler comme il manipule ses soldats, le marionnetiste. Comme il manipule l'Inde et l'Angleterre, et bientôt les Caraïbes...peut-être.
En jouant dans les deux camps, n'avait-elle pas alors la meilleure assurance ? Pour se ranger à la dernière minute aux côtés du gagnant ?

Boisnoir haussa un sourcil interrogateur, il ne s'attendait pas à un avoeu aussi direct. A moins que ce ne soit un simple piège ou un appât, il devait rester méfiant. L'amiral français était extrêmement prudent face à une inconnue surtout, oui surtout si elle était belle. Il joignit ses mains dans le dos, posture que l'on prenait trés fréquemment dans la Marine royale. Il s'intéressait beaucoup aux Indiens, bien qu'ils ne soient que des hérétiques, païens, ils faisaient de redoutables guerriers et des alliés forts utiles. Quant à leurs femmes, elles étaient raffinés et élégantes bien que leurs âmes étaient encore plus sombres que leur peau.

-Ce que je vous ferais hé hé ma chère... Je vous obligerais à me dire tout ce que vous savez à moins que vous ne décidiez de vous épargner des souffrances inutiles auquel cas je vous ferai pendre juste aprés avoir appris ce qu'il me fallait... Dans un troisième cas de figure, vous pourriez me prouver que vous pouvez m'être encore utile...

Lata esquissa un sourire sournois, ses yeux brillants, elle comprit qu'il lui restait encore quelques chances de s'en tirer entière. Un pirate, un vrai, est un forban qui vit seul avec ses matelots, qui combat non pas par fierté mais par besoin ou par desir, qui n'appartient à aucun clan étant donné qu'il ne joue que pour son propre intêret, qui craint la mort et la potence et est près à sacrifier toutes ses conaissances pour s'en tirer indemne. Lata Farley est une pirate.
Au diable la confrérie, l'honneur et l'âme de la pirateire si c'est pour mourir bêtement.
Ne dit-on pas qu'il vaut mieux vivre dans l'ombre que de mourir dignement ?
Il est des choses qui sont dures à comprends, mais certaines philosophies...

-Espionne des pirates, je dirais que c'est un peu exessif, je veux vivre sur l'océan, que ce soit d'un côté ou de l'autre, et si pour cela il faut sacrifier la piraterie et me vouer à une vilaine trahison de mes confrères...

Boisnoir était de plus en plus perplexe, et invita la jeune femme à le rejoindre à l'intérieur de la grand-chambre. Il ne pouvait décemment pas entamer de telles négociations sans mettre à l'aise son invitée de dernière minute. Il tapotait encore la garde de son épée avec une infinie lenteur.

-Parlons affaire. Aprés vous ma chère...

Il lui fit signe de passer devant lui. Il ne pouvait pas se permettre de tourner le dos à une personne qui pouvait le tuer à tout moment. Ce n'était pas dans ses habitudes. Aussi insista t'il fortement en appuyant sa phrase d'un regard pénétrant ponctué d'un geste impatient de la main. Il l'invitait à prendre place sur un des élégants fauteuils de la pièce.

Sans répondre, elle entra et s'installa sur le fauteuil qui lui était proposé. Elle croisa les jambes et détailla la pièce du regard, décidemment, l'endroit était très riche, les français ont beaucoup de gout, on le lui avait dit. L'intérieur du Poséidon (navire dont elle à hérité) était beaucoup moins raffiné, un bureau simple, des papier partout et une affreuse odeur de rhum entêtante.
Il ne faut pas croire qu'il n'y a que pour sa vie qu'elle allait trahir, l'amour de l'argent est une chose qui enflamme le coeur des hommes bien plus que l'amour en lui même.

-Vous êtes donc un homme très riche, dit-elle avec un sourire toute en examinant les sculptures sur le bois du bureau. Je suppose que votre dame doit nager dans le bohneur...

Bien entendu, ignorant tout de la vie privé de ses grands hommes, elle les imaginaient comblés, que ce soit d'argent ou de plaisir.

Boisnoir alluma lui même les lanternes qui éclairèrent la vaste pièce dévoilant ses sculptures en bas reliefs, le roi Louis en césar, Neptune dans une toge fleur-de-lysé, les cloisons frappés aux armes royales et à celles de l'amiral de France. Boisnoir n'avait pas fai de ce bâtiment son vaisseau-amiral, il n'était qu'un modeste lieutenant-général de la Marine, il en avait le navire-amiral de la Flotte française toute entière. Ainsi son image étant éternellement liée à celle de son bâtiment, il entrerait dans l'Histoire comme l'amiral de Boisnoir, amiral de France, supplantant le Duc de Penthièvre, mais qui s'en soucierait de celui-ci? Non content d'avoir enrichi la décoration, il avait aussi apporté un mobilier raffiné et amélioré l'éclairage et la ventilation, ajoutant des miroirs qui donnaient une impression d'espace et réfléchissaient la lumière en pleine nuit, comme ce soir par exemple.

Laissant la jeune femme s'asseoir, il se dirigea vers sa cave à vins et en sortit une bouteille de cognac en retira le bouchon et se versa un verre. Il fut satisfait lorsque la jeune femme lui fit remarquer qu'il était "trés riche".

-J'ai mis quelque argent de côté en effet, répondit-il avec modestie.

Il allait lui proposer un verre lorsqu'elle parla du "bonheur" dans lequel vivre sa dame. Boisnoir fut alors emporté par un tourbillon de souvenirs. Sa dame... sous le coup de l'émotion, il laissa échapper le bouchon du flacon qui tomba lourdement sur le sol et roula au travers de la pièce au rythme du doux roulis. Non, si quelqu'un n'avait pas connu le bonheur, s'était bien elle. Quant à sa seconde femme, il ne l'avait pas aimé, elle non plus d'ailleurs, elle n'aspirait qu'à la tranquilité, lui à la richesse. Ils avaient eu ce qu'ils voulaient tous deux. Son goût pour le vice et la fornication l'avait perdue car elle était morte. La syphilis. Il chassa ses sombres pensées de sa mémoire et parla avec émotion.

-Ma femme est morte. Je suis veuf. Je suis... le seul à profiter de ma fortune. Un verre?

L'entretient commençait bien, il allait être crispé à présent. Mais quand diable apprendra-t-elle à laisser ce genre de deuil en paix durant ces moments important. Mais l'émotion de douleur que l'on entendait dans la voix du français trahissais une faiblesse et une sensibilité qu'il ne paraissait pas avoir aux premiers regards. Les yeux tourner vers le Neptune gravé, elle ne sut que dire.
Neptune, dieu adoré de l'océan, qui donna son nom à plusieurs navires. Semblable à un "Calypso" masculin, les marins lui vouaient parfois un culte tellement sincères qu'ils arrivaient que l'on sacrifie encore pour lui. Des siècles après l'arrivé des autres religions.

-Elmataikin...Falaer dani...

"Chaque être sur terre porte sa croix", à peu près étant donné que là bas, les croix n'ont aucune signification.

Lorsqu'il lui proposa un verre, elle accepta d'un signe de tête.
-Navrée...Enfin, avec votre statut...

Elle ne finit pas sa phrase, l'amour est un des rares sentiments que la classe sociale n'arrête pas. Enfin, avec son statut...il n'aura aucun mal à s'en trouver une autre !
N'ayant jamais connu l'amour fou, Lata ne savait de quoi elle parlait...

-Ne nous...nous avons...enfin, vous partez demain...nous n'avons que cette nuit pour...parler alors ne nous attardons...pas.

Elle le comprenait pour la perte d'un être très cher, mais pas pour l'amour...

Boisnoir regarda avec froideur la jeune femme. Il méprisait les pirates surtout si ceux-là n'avaient même pas le cran de mourir en tant que tel. Pourtant l'opportunisme d'une Lata Farley était assez séduisant et surtout intéressant.

-Nous n'avons en effet que peu de temps devant nous alors autant ne pas perdre un instant.

Il s'avança vers elle avec deux verres à la main et lui en tendit un. Dans la lumière dansante de la lanterne, le cognac avait parfois des reflets sanglants. Il s'assit dans son fauteuil se laissa s'enfoncer dans le confort, posa sa jambe sur son genou et se saisit d'un cigare qui traînait à côté, l'approcha d'une chandelle et l'alluma. Il en prit de longues bouffées avant de déclarer:

-Ma jeune amie, je veux bien croire que vous êtes prête à m'aider dans mon entreprise... Mais je me doute aussi que cela ne sera pas gratuit alors sans attendre dites-moi ce que vous attendez en retour... mis à part la vie sauve cela va de soit...

Lata croisa ses doigts. La piraterie était simple, tuer et piller poursurvivre, ne faire confiance qu'a soit même et se moquer de la fierté, laissant ceci au marins honnêtes. Negocier...
Elle porta à ses lèvres le verre, bu une petite gorgée, doucement, avec la même classe des demoiselles de salon, et se leva pour tourner le dos à son interlocuteur tout en contemplant les raffinements de la salle.

-Bien sûr, le prix...risquerait d'être légerement amer, en vérité, je vous réclamerais bien de l'or mais je crains qu'en exigeant trop d'argent, je pourrais bien perdre la vie. Alors disons...300 000 livres sterlings...ceci pour l'achat d'un équipage car mon navire est assez desert en ce moment.

Elle daigna enfin se retourner vers lui et plonger ses yeux noirs dans le sombre regard de l'homme.
La fierté se lisait dans son regard, (a Boisnoir) mais aussi la mélancolie, tandis ce que Lata masquait sa crainte derrière une assurance bien déguisée.

-Vous ne ressemblez pas aux autres amirals que j'ai rencontré...peut être parce qu'ils étaient souvent tous Anglais.

Boisnoir regarda Lata avec une haine non dissimulée... Elle se moquait de lui impunément... La garce! Elle allait voir ce qu'il en coûtait, il prit une gorgée de cognac puis une bouffée de son cigarillo. Qui pouvait exiger une telle somme? Elle ne se rendait pas compte! 300 000 milles livres sterling, le prix nécessaire pour armer une frégate de 30 canons pendant 6 mois... Tout compris! Non ce n'était décidément pas possible. Il ne pouvait accepter un prix aussi exhorbitant pour un résultat aussi incertain. Le pire était qu'elle prétendait en avoir besoin pour se trouver un équipage. Pardieu! C'était le prix nécessaire pour fournir au Royal Louis un équipage. Inacceptable!

-Je ne suis pas un amiral comme les autres mon enfant... Ni un homme. Je suis beaucoup plus sévère... En particulier lorsqu'il s'agit de négocier. Votre prix est inacceptable. Je ne vous offrirais pas plus de 50 000 livres et seulement la moitié. L'autre vous reviendrait avec un bonus si je suis satisfait de vos services.

Ah il était satisfait il pouvait négocier comme il l'avait fait auparavant. Mais cela n'était pas suffisant, il lui fallait obtenir le plus en donnant le moins possible. Il observa avec plaisir les réactions de son interlocutrice, attendant avec impatience sa réponse.

Lata ne se démonta pas. La négociation auprès de ce type allait être aussi facile que d'expliquer à un tigre qu'il doit lâcher le bout de chair entre ses crocs. Et puis, en plus, sa vie pouvait s'arrêter très vite entre ses griffes là. Elle se leva et commença à faire les cents pas tout en remuant ses doigts sur sa cuisse. Elle lui demanderait bien une faveur du genre la mettre sous sa protection, mais l'homme refuserait, il devait déjà l'avoir prit pour une folle.
Soit, avouons nous vaincu...et puis, pourquoi achèterait-il un équipage qui se mettra en travers de sa route.

-Voyons...il me faudrait réparer la coque criblée, acheter de nouvelles voiles,...Je peux conserver mon timonier, je n'ai pas besoin de second, en revanche la vigie...qu'est ce qu'on ne ferait pas pour se sortir de la misère de la rue monsieur...

Là dessus, elle secoua sa chevelure bouclée et posa un doigts sur sa lèvre inférieur.

-La moitié de 50 000, donc ? Avec ça j'ai de quoi manger pendant six mois avec les autres.